Je vis la bête surgir de la mer by Effenhauser Ulrich

Je vis la bête surgir de la mer by Effenhauser Ulrich

Auteur:Effenhauser, Ulrich [Effenhauser, Ulrich]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Actes Noirs
Publié: 2022-01-05T10:27:43+00:00


14. Otto Šimánek (1925-1992), mime et acteur tchèque rendu célèbre par le personnage de Pan Tau, Monsieur Rosée.

Dans le bus, ils furent obligés de rester debout. Charlotte se tenait à une poignée, regardait par la vitre. Heller réfléchit à ce qu’il allait dire, par exemple : je suis désolé pour l’histoire de votre père, je peux comprendre ce que vous ressentez, moi aussi mon père était nazi… Jamais il ne dirait ça ! Heller chercha ses clés à tâtons. Le bus prit un virage serré. Charlotte se cramponna, Heller vacilla pendant quelques secondes.

À peine furent-ils descendus que Charlotte lui demanda s’il voulait encore marcher un peu. Il ne savait pas où aller mais il dit : “Oui”. Ils battirent le pavé de la vieille ville, passèrent devant des voitures en stationnement, des façades d’un gris brunâtre, des fenêtres à double vitrage, délabrées, des affiches de Karel Gott15. Ils trouvèrent un petit restaurant, cherchèrent une place tout au fond, firent mine d’étudier le menu. S’aidant du guide, ils commandèrent des bramboráky et des knedlíky16, ils attendirent sans se dire grand-chose, mangèrent, absorbés dans leurs pensées, Charlotte picora dans son assiette, puis elle termina son paquet de cigarettes.

La bière était excellente, Heller en recommanda deux fois, cela l’aida à endurer la situation. Ils finirent leur verre, payèrent. En se levant, Heller constata qu’il était un peu éméché. Dans la chambre d’hôtel, Charlotte trouva une dernière cigarette dans son sac de voyage, elle s’assit avec à la table de la cuisine, sortit un bloc et des crayons, se mit à dessiner, Heller dit : “Bonne nuit”. Il alla aussitôt se coucher. Au bout d’un certain temps, il sombra dans un sommeil agité, plusieurs fois interrompu par les pétarades d’un moteur deux-temps, l’image de Kolnik lui revenait sans cesse, par fragments.

Lorsque Heller se réveilla, pris d’une envie d’aller aux toilettes, Charlotte était toujours assise à la table de la cuisine, en train de manipuler ses crayons, elle ne remarqua pas sa présence. Il retourna se coucher, rêva de haut-parleurs dont s’échappaient des caractères cyrilliques, il rêva de manches retroussées, de chapeaux rouge-orangé, d’un globe terrestre que Kolnik découpait au milieu pour en sortir quelques bouteilles de Pils. Soudain, il se réveilla, Charlotte se tenait devant lui, éclairée par la lumière de la cuisine, nue, les yeux tristes, la bouche ouverte, les taches de rousseur, on ne les distinguait pas, et pourtant elles étaient là, la petite vague sur son nez, les lèvres, elles se mirent à bouger, murmurèrent quelque chose, Heller ne comprit pas, elles bougèrent de nouveau, réconforte-moi, disaient les lèvres, Heller fut incapable de répondre, Charlotte se pencha vers lui, le regarda, elle se glissa sous la couverture, se colla contre son corps.



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